Le calendrier indien moderne

Monnaie indienne
datée de 131 ère Saka, soit 209 EC
(source: Wikipedia).

L’Inde, puissance technologique non alignée, a pour caractéristique d’utiliser un calendrier spécifique qu’elle a défini il y a moins d’un siècle. Une confirmation de son avance technologique ?

L’Inde est à l’honneur en France, notamment à la commémoration du 14 juillet 2023. La France et l’Inde célèbrent leurs voix singulières dans ce monde où les grands blocs cherchent à établir des réseaux de vassaux. Non alignée sur le plan politique, l’Inde n’en est pas moins une grande puissance scientifique et technologique. Nombreuses sont les avancées mathématiques que nous devons aux savants indiens, à commencer par l’introduction du zéro en tant que chiffre dès le Moyen-Âge.

Restant à la pointe de l’innovation arithmétique, la jeune nation indienne a établi son propre calendrier au siècle dernier, selon une démarche originale. En 1947, alors que l’Inde acquerrait son indépendance, les différents peuples du sous-continent utilisaient des calendriers civils et religieux distincts, certains d’entre eux avec de nombreuses variantes régionales. Le nouvel État forma en 1952 un comité pour définir un calendrier commun à tous. Au terme des travaux, le calendrier national indien fut promulgué en 1957.

Une démarche analogue à celle de Sosigène

La constitution du calendrier national indien procède de la même logique que le calendrier julien. Les noms des douze mois lunaires du calendrier hindou traditionnel ont été repris pour désigner des mois désormais solaires. Ce calendrier hindou était le plus connu dans le sous-continent, même s’il n’était pas utilisé partout. Comme Sosigène, l’astronome de César, l’avait fait Sosigène vers 47 avant Jésus-Christ, les concepteurs du nouveau calendrier ont porté à 30 ou 31 le nombre de jours des mois traditionnels, afin d’obtenir un total annuel de 365 ou 366 jours. Mais, contrairement à Sosigène, le comité du calendrier a tout d’abord choisi de faire coïncider le début d’année avec un repère saisonnier, en l’occurrence l’équinoxe de printemps. Puis il a défini une première série de 6 mois de 31 jours, suivie d’une série de 6 mois de 30 jours. Sosigène avait cherché à alterner les mois de 30 et 31 jours, probablement parce que les Romains étaient habitués à alterner les durées de leurs mois lunaires. Les Indiens en revanche ont souhaité tenir compte des durées de passage du soleil dans les signes successifs du Zodiaque, chaque signe représentant 1/12 du cycle complet. Du fait de la légère excentricité de l’orbite terrestre autour du Soleil, l’astre reste plus longtemps dans chaque signe pendant les mois d’été, de l’équinoxe de printemps à l’équinoxe d’automne. Ainsi, en année longue, les six premiers mois comptent chacun 31 jours, et les six derniers n’en ont que 30. Cette séquence est très proche de celle du calendrier persan.

Autre différence, Sosigène avait choisi de maintenir février comme mois porteur du jour intercalaire. Dans le calendrier traditionnel romain, le mois de mars ouvrait l’année, et février en marquait la fin. Cela explique les noms des mois de septembre, octobre, novembre et décembre, qui dérivent des nombres de 7 à 10, conformément à leur numéro d’ordre traditionnel. Le mois lunaire intercalaire suivait février. Fixer l’intercalation à la fin d’un cycle est le plus naturel, et facilite de nombreux calculs. Mais c’est probablement César qui a porté le début d’année à janvier, parce que les consuls commençaient leur mandat ce mois-là, et l’on nommait couramment une année du nom du consul en poste. Les Indiens ont eux choisi de placer le jour intercalaire au premier mois de l’année. Ce choix apparemment peu rationnel résulte d’un autre choix, plus profond : le nouveau calendrier indien devait se convertir aussi aisément que possible avec le calendrier grégorien, qui s’était déjà imposé à l’ensemble de la planète. Les années indiennes longues sont les mêmes que les années grégoriennes bissextiles. Grâce à l'insertion du jour intercalaire le premier mois, chaque date indienne correspond toujours à une même date grégorienne, à l’exception d’un petit nombre de dates lors des années bissextiles. Ces années-là, seules 52 dates, du 29 février au 20 avril, sont décalées d’un jour. Les 314 autres dates gardent la même correspondance.

L’origine des années répond au contexte régional

L’origine du calendrier indien est l’ère Saka. L’événement fondateur de cette ère n’est pas connu avec certitude, mais l’emploi de cette origine est attesté dès le début du 3e siècle, et se retrouve non seulement en Inde, mais dans les pays voisins. L’année 0, origine de l’ère Saka, correspond à l’an 78 de l’ère chrétienne. En bons arithméticiens, les Indiens font commencer le décompte des années par 0, et désignent les années précédant cette origine par des nombres négatifs.

Nous l’avons dit, la règle d’intercalation du calendrier indien désigne comme longues les années bissextiles du calendrier grégorien. Pour exprimer cette règle sur les années de l’ère Saka, il faut donc commencer par ajouter 78 à l’année, puis considérer le nombre obtenu et lui appliquer la règle grégorienne : l’année est bissextile si le nombre est multiple de 4 sans être multiple de 100, sauf s’il est multiple de 400. En conséquence, les irrégularités dues à un changement de siècle grégorien se produisent les années se terminant par 22 de l’ère Saka. Par exemple l’an 122 de l’ère Saka correspond à l’an 200 : c’est, par exception, une année non bissextile.

En définissant ce calendrier, les Indiens démontrent qu’il est possible, même à l’époque contemporaine, de promulguer un calendrier nouveau sans exiger d'accord international.

Le calendrier national indien est un exemple de calendrier solaire en phase, c’est-à-dire tel que les événements tropiques (solstices et équinoxes) correspondent au début de certains mois. L’autre calendrier solaire en phase en usage aujourd’hui est le calendrier persan. Un troisième calendrier solaire en phase est l’éphémère calendrier révolutionnaire français, qui s’est condamné lui-même en refusant de considérer la semaine de 7 jours, désormais adoptée par le monde entier. En revanche, notre calendrier grégorien n'est pas en phase : les solstices et équinoxes tombent vers le 21 de certains mois.

Qu’apporte le calendrier milésien, par rapport au calendrier indien ?

Puisqu’au moins deux exemples de calendriers solaires en phase existent déjà, pourquoi ne pas généraliser l’un d’entre eux plutôt que de définir un calendrier milésien entièrement nouveau ? Les raisons restent nombreuses.

  • La règle d’intercalation grégorienne paraît aujourd’hui le meilleur compromis entre simplicité d’utilisation et stabilité du calendrier ; mais les deux calendriers en phase précités ont une origine des années différente. Une adaptation au contexte occidental serait nécessaire.
  • La répartition des durées de mois des calendriers indien et persan provoque des écarts relatifs importants entre durées mesurées en mois : le premier semestre de l’année dure 186 jours, contre 180 pour le semestre suivant, soit un écart relatif de 3,3%. Le calendrier grégorien nous a habitués à des bimestres le plus souvent de 61 jours.
  • Par ailleurs, cette répartition des durées correspond à une situation cosmologique qui va évoluer. Avec la précession des équinoxes, les mois les plus longs vont se décaler vers l’automne puis vers l’hiver. Il faudrait alors réviser la répartition des durées des mois, ce qui poserait de difficiles problèmes pratiques : quand fêter l’anniversaire d’une personne née le 31 d’un mois, si ce mois doit perdre définitivement son 31e jour ?
  • Enfin, les noms de mois indiens ou persans ne sont pas familiers aux cultures extérieures à l’Inde et l’Iran. Alors que ces noms ont du sens dans leurs langues originales respectives, leur simple transcription les rendraient difficiles à retenir par les locuteurs d’autres langues.

Le calendrier milésien s’inspire de son cousin indien, mais avec des objectifs taillés à l’échelle mondiale. Constatant que le calendrier grégorien s’est imposé sans difficulté dans le monde entier, il en réutilise les meilleures trouvailles et gomme ses défauts de conception.

  • Le calendrier milésien reprend l’origine des années et la règle d’intercalation solaire du calendrier grégorien.
  • Suivant l’usage introduit par les astronomes français au 18e siècle et consacré par la norme ISO 8601, le comptage des années est algébrique : le zéro et les nombres négatifs sont utilisés plutôt que la notation rétrograde (« avant Jésus-Christ ») imposée par Bède le Vénérable.
  • Les nouveautés pressenties par Sosigène et qu’il n’a pu totalement mettre en œuvre sont systématisées : les mois sont de durées régulièrement alternées de 30 et 31 jours, et la seule irrégularité est rejetée en fin d’année : le mois de 30 jours en gagne un 31e en année longue. Ainsi tous les bimestres comptent 61 jours, sauf le dernier bimestre d’une année cave (de 365 jours).
  • L’année milésienne commence au solstice d’hiver boréal. Équinoxes et solstices tombent à un changement de mois, à deux jours près en plus ou en moins en raison de la légère excentricité de la trajectoire terrestre. Il s’agit donc d’un calendrier solaire en phase comme les calendriers indien et persan, mais de plus régulièrement réparti, contrairement à ces deux calendriers et contrairement au calendrier révolutionnaire français, déséquilibré par ses 5 jours reportés en fin d’année. Cette régularité assure une grande pérennité, au prix d’une minime perte de précision sur les dates de solstices et équinoxes, précision à laquelle la règle d’intercalation grégorienne force déjà à renoncer.
  • Comme avec le calendrier indien, chaque date milésienne correspond à une seule date grégorienne, à l’exception de 71 dates, du 21 décembre au 29 février des « hivers bissextiles ». Certes, 71 dates c’est un peu plus que les 52 dates du calendrier indien. Mais cela reste raisonnable devant les 366 dates de tout calendrier solaire.
  • Le jour intercalaire est le dernier de l’année ; plus largement le calendrier milésien répond parfaitement au principe d’intercalation postfixe intégrale, c’est-à-dire que tout jour additionnel ou supprimé se trouve à la fin d’un cycle (mois, année, olympiade, siècle…) ; ce principe facilite les calculs de conversion et rend possible certains calculs mentaux sur les dates, les semaines et les lunes.
  • Enfin, la dénomination des mois milésiens, si elle ne porte pas toute la poésie des noms de mois juliens, persans ou indiens, facilite grandement la traduction dans toute langue. Même ChatGPT peut engendrer des noms de mois milésiens dans les langues qu’il maîtrise !

Français et Indiens, peuples créateurs de calendriers

Il est remarquable de constater que nos deux peuples sont les rares à oser créer de nouveaux calendriers dans l’époque contemporaine. Le calendrier révolutionnaire français est né dans l’euphorie de la création du système métrique, à la fin du 18e siècle. Ce n’est que le parti pris idéologique qui a fait capoter cette innovation : éliminer la semaine de sept jours se révèle impossible, alors que tous les pays se sont convertis au rythme hebdomadaire. Au cours du 19e et du 20e siècle, la France fut le berceau de nombreux projets de réforme du calendrier. Un concours de calendriers a même été lancé par l'astronome amateur français Camille Flammarion, fondateur de la Société Astronomique de France. Tous ces projets ont échoué sur le même écueil, la rupture du rythme immémorial de la semaine de sept jours. L’Inde, elle, n’a entamé qu’une réforme, mais l’a réussie. Elle est toujours très présente dans les instances internationales d’adaptation des calendriers à notre monde numérique.

Espérons que les voix originales de ces deux peuples continueront d’apporter, dans ce domaine comme dans tant d’autres, des solutions originales pour le monde de demain.

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