Changer de calendrier, un acte politique ?


Les Ukrainiens sont beaucoup plus nombreux cette année (2022-2023) à fêter Noël le 25 décembre plutôt que le 7 janvier, marquant ainsi leur défiance vis-à-vis de la Russie.

Ce "vote avec le calendrier" est finement étudié dans deux articles du Figaro, hélas réservés aux abonnés. Hugues Maillot analyse comment la date de Noël est devenue un dilemne très politique pour les orthodoxes,  tandis qu'Eloi Passot mentionne que la paroisse gréco-catholique parisienne Saint Volodymyr le Grand a pour la première fois opté pour la date du 25 décembre, plutôt que celle du 7 janvier, pour fêter Noël.

Rappelons la situation. C'est le pape catholique romain, souverain pontife agissant comme successeur de Jules César, qui a promulgué en 1582 la réforme grégorienne aux termes de laquelle certaines années, bien que multiples de quatre, ne sont pas bissextiles. Cette même réforme efface d'un coup 10 dates. De cette manière, la date du 21 mars est plus régulièrement arrimée à l'équinoxe de printemps, et la définition traditionnelle de la date de Pâques, le dimanche qui suit la pleine lune arrivant le 21 mars ou immédiatement après, garantit que cette fête ne dérivera pas progressivement vers l'été.

Si les pays catholiques ont immédiatement adopté la réforme, les protestants ont attendu 1700, la première année de siècle non bissextile, pour la mettre en application. Les Anglais ont reporté à 1752 ce nouveau calendrier, préférant avoir tort contre la raison qu'avoir raison avec le pape. Le monde orthodoxe s'est quant à lui déchiré en deux en 1923. De nombreuses églises ont adopté une réforme calendaire différente de la réforme grégorienne mais donnant la même date pour un même jour pour encore quelques siècles. Les églises notamment russe et ukrainienne sont restées à l'application du calendrier julien.  

Or, depuis 1900, le 25 décembre du calendrier julien tombe le 7 janvier suivant en grégorien. La plupart des Ukrainiens se rattachent à l'église orthodoxe d'Ukraine, elle-même traditionnellement sous obédience de celle de Moscou, même si un concile la reconnaît indépendante. L'autre courant religieux traditionnel est constitué des gréco-catholiques, rattachés à Rome mais qui suivent eux aussi le calendrier julien. 

L'éloignement progressif des Ukrainiens du monde économique et culturel russe s'est déjà manifesté sur le plan calendaire. En 2017, les autorités ukrainiennes ont fait du 25 décembre un jour férié. 

Dès octobre 2022, la guerre étant cette fois déclarée, les autorités de deux communautés orthodoxes ukrainiennes ont permis que les paroissiens puissent choisir la date à laquelle ils fêteraient Noël. Nombreux sont ceux qui ont préféré la date grégorienne, marquant ainsi leur désaveu vis-à-vis des prétentions hégémoniques de la Russie. Ainsi, le marqueur par lequel Russes et Ukrainiens tenaient à se garder démarqués de l'Occident en 1923 joue désormais dans l'autre sens: les Ukrainiens marquent par ce choix de calendrier leur préférence pour le modèle occidental, abhorré par Moscou.

Je ne souhaiterais pas que le calendrier milésien soit l'objet d'un tel dilemme politique. La raison bénéficie à tous, de même que le soleil brille pour les bons comme pour les méchants. Le poids des traditions certes agit comme une glu au sein de nos sociétés; que cela n'empêche des usages nouveaux d'émerger, et de s'imposer par la raison et la commodité plutôt que pour des motifs politiques.

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