En quelle saison les étoiles guidaient-elles Ulysse ?
Ulysse et Calypso, Arnold Böcklin |
Le numéro 134 de l'Astronomie reconstitue la manière dont Calypso a guidé Ulysse sur le chemin de retour vers Ithaque. Le calendrier milésien éclaircit l'effet de la précession des équinoxes pour cette reconstitution.
Ulysse parvient à Ogygie, île où règne la nymphe Calypso. Tombée amoureuse de lui, elle le retient pendant sept ans, plus du double du temps qu'il a passé dans toutes ses autres aventures maritimes. C'est sur l'ordre de Zeus qu'elle finit par le libérer. Elle le conseille alors sur la route à suivre pour retourner à Ithaque.
L'identification la plus plausible d'Ogygie, compte tenu de sa description et de celle de la route de retour, est l'îlot actuel de Persil, à proximité de l'enclave espagnole de Ceuta sur la côte marocaine, c'est-à-dire sur le bord sud du détroit de Gibraltar, que les Anciens appelaient les Colonnes d'Hercule.
Pour aller de Persil à Ithaque, on commence par suivre le cap 81° jusqu'à atteindre le nord-ouest de la Sicile. On longe ensuite la Sicile pour passer le détroit de Messine puis contourner la pointe de la botte italienne. On continue sur le cap 80° pour atterrir sur l'île natale d'Ulysse, face à la côte ouest de la Grèce. L'Odyssée précise que ce trajet de 1300 milles marins dure 17 jours. Ulysse accomplit donc ce dernier voyage à la moyenne de 3 nœuds, ce qui est parfaitement vraisemblable.
Mais à l'époque, il n'y a pas de boussole pour indiquer le cap. Les navigateurs font du cabotage, c'est-à-dire suivent la terre à vue, ou sinon sont contraints de suivre des amers astronomiques. Et là, le texte d'Homère est assez précis: "(Ulysse)... assis près de la barre, gouvernait en maître: sans qu'un somme jamais tombât sur ses paupières, son oeil fixait les Pléiades et le Bouvier, qui se couche si tard, et l'Ourse qu'on appelle aussi le Chariot, la seule des étoiles qui jamais ne se plonge aux bains de l'Océan, mais tourne en même place en guettant Orion ; l'avis de Calypso, cette toute divine, était de naviguer sur les routes du large, en gardant toujours l'Ourse à gauche de sa main."
Dans son article Les étoiles qui guidaient Ulysse, Jacques Tiphaine reconstitue la manière dont les Pléiades et le Bouvier ont aidé Ulysse pour son retour. Il se pose cette question : le ciel dont parle Calypso est-il celui de 1200 av. J.-C., époque probable de cette traversée, ou 800, époque de la rédaction de l'épopée ? Le logiciel Ciel mon marin, qui exploite les méthodes de calcul de Jean Meeus, donne des résultats très proches pour les deux époques. En particulier, la période de l'année au cours de laquelle le Bouvier puis les Pléiades étaient visibles au cours de la nuit sont respectivement : du 19 mai au 8 juin 1200 av. J.-C. ; et du 20 mai au 10 juin 800 av. J.-C. Soit 20 ou 21 jours, pratiquement à la même période de l'année. Et l'auteur de l'article s'appuie sur des observations météorologiques du mois de mai enregistrées en mer Méditerranée depuis la fin du 18e siècle pour confirmer qu'Ulysse a très probablement bénéficié de vents et de courants favorables pendant cette période.
Mais s'agit-il vraiment de la même période ? Et pourquoi l'auteur se réfère-t-il uniquement au mois de mai, alors que le voyage se répartit presqu'également entre mai et juin ? C'est qu'en réalité l'auteur utilise le calendrier julien proleptique, calendrier de référence des historiens pour l'Antiquité. Les résultats extrêmement proches relatifs à la période favorable calculés à 400 ans d'intervalle révèlent tout simplement que le calendrier julien rend bien compte de l'année sidérale, c'est-à-dire du temps qu'il faut à la Terre pour revenir à la même place par rapport à un référentiel d'étoiles fixes. Mais l'année que nous percevons est l'année tropique, celle du cycle des saisons. Celle-ci est légèrement plus courte en raison de la précession des équinoxes. L'auteur de l'article nous suggère ce décalage en mentionnant qu'en l'an mil avant Jésus-Christ, l'équinoxe de printemps se produit le 30 mars.
Le calendrier milésien permet d'y voir plus clair. En -1200 (année qui correspond à 1201 av. J.-C., mais le calendrier milésien utilise exclusivement le décompte algébrique pour les années précédant l'origine, comme les calendriers solaires des grands peuples mathématiciens que sont l'Inde et la Perse), la période favorable des étoiles pour le voyage s'étend du 17 quintème au 7 sextème (21 5m au 7 6m). En -800, elle est reportée de quatre voire cinq jours, du 21 quintème au 12 sextème. Les instructions de Calypso s'appliquent donc à la fin du deuxième mois et au début du troisième après l'équinoxe, un peu plus tard que ce qu'indique l'auteur de l'article.
Notons au passage qu'en 1200, le mois de mai du calendrier julien commence deux jours après quintème, alors qu'en -800 il commence un jour plus tôt. Aux irrégularités près des mois juliens, ces mois se superposent à ceux du calendrier milésien au 11e siècle av. J.-C., et ainsi le calendrier julien est très fugitivement en phase avec les saisons moyennes. A cette lointaine époque, le périhélie, passage de la Terre au point le plus proche du Soleil, a lieu à la fin de onzème, en plein automne, qui est alors la saison la plus courte. Le printemps vrai, saison la plus longue, commence dès le 30 tertème pour finir le 2 septème en l'an -999 (1000 av. J.-C.). Ce 30 3m -999 correspond bien au 30 mars 1000 av. J.-C. mentionné par l'article (vous pouvez contrôler avec le convertisseur milésien et le calculateur de chiffres clés annuels).
Pourquoi, alors qu'il trouve une période favorable couvrant presqu'à égalité mai et juin, l'auteur se réfère-t-il aux chroniques météorologiques récentes de mai uniquement ? Parce qu'il s'agit ici du mois de mai grégorien. On admet que les conditions météorologiques moyennes sont liées au cycle des saisons, non pas au cycle sidéral. Le mois de mai grégorien s'étend du 10 quintème au 10 sextème. Il couvre entièrement la période favorable pour -1200, et n'en rate que deux jours en -800. Il est donc bien représentatif de la période saisonnière à laquelle Ulysse a dû effectuer son dernier trajet vers Ithaque.
Dans cet article très éclairant à propos des connaissances des Anciens, l'auteur souffre de ne pouvoir aisément différencier l'année sidérale, assez bien restituée par le calendrier julien, de l'année tropique à laquelle nous sommes habitués avec le calendrier grégorien. C'est dommage. Un auteur indien ou persan aurait probablement moins de difficulté. Il pourrait recourir au calendrier indien ou persan qui représente nativement le cycle des saisons. Il le distinguerait du calendrier julien, bien adapté aux calculs astronomiques et à l'année sidérale. Dans notre culture occidentale, le calendrier milésien peut combler ce manque et mieux représenter les saisons des périodes reculées. Chers auteurs scientifiques, profitez-en !
Mais s'agit-il vraiment de la même période ? Et pourquoi l'auteur se réfère-t-il uniquement au mois de mai, alors que le voyage se répartit presqu'également entre mai et juin ? C'est qu'en réalité l'auteur utilise le calendrier julien proleptique, calendrier de référence des historiens pour l'Antiquité. Les résultats extrêmement proches relatifs à la période favorable calculés à 400 ans d'intervalle révèlent tout simplement que le calendrier julien rend bien compte de l'année sidérale, c'est-à-dire du temps qu'il faut à la Terre pour revenir à la même place par rapport à un référentiel d'étoiles fixes. Mais l'année que nous percevons est l'année tropique, celle du cycle des saisons. Celle-ci est légèrement plus courte en raison de la précession des équinoxes. L'auteur de l'article nous suggère ce décalage en mentionnant qu'en l'an mil avant Jésus-Christ, l'équinoxe de printemps se produit le 30 mars.
Le calendrier milésien permet d'y voir plus clair. En -1200 (année qui correspond à 1201 av. J.-C., mais le calendrier milésien utilise exclusivement le décompte algébrique pour les années précédant l'origine, comme les calendriers solaires des grands peuples mathématiciens que sont l'Inde et la Perse), la période favorable des étoiles pour le voyage s'étend du 17 quintème au 7 sextème (21 5m au 7 6m). En -800, elle est reportée de quatre voire cinq jours, du 21 quintème au 12 sextème. Les instructions de Calypso s'appliquent donc à la fin du deuxième mois et au début du troisième après l'équinoxe, un peu plus tard que ce qu'indique l'auteur de l'article.
Notons au passage qu'en 1200, le mois de mai du calendrier julien commence deux jours après quintème, alors qu'en -800 il commence un jour plus tôt. Aux irrégularités près des mois juliens, ces mois se superposent à ceux du calendrier milésien au 11e siècle av. J.-C., et ainsi le calendrier julien est très fugitivement en phase avec les saisons moyennes. A cette lointaine époque, le périhélie, passage de la Terre au point le plus proche du Soleil, a lieu à la fin de onzème, en plein automne, qui est alors la saison la plus courte. Le printemps vrai, saison la plus longue, commence dès le 30 tertème pour finir le 2 septème en l'an -999 (1000 av. J.-C.). Ce 30 3m -999 correspond bien au 30 mars 1000 av. J.-C. mentionné par l'article (vous pouvez contrôler avec le convertisseur milésien et le calculateur de chiffres clés annuels).
Pourquoi, alors qu'il trouve une période favorable couvrant presqu'à égalité mai et juin, l'auteur se réfère-t-il aux chroniques météorologiques récentes de mai uniquement ? Parce qu'il s'agit ici du mois de mai grégorien. On admet que les conditions météorologiques moyennes sont liées au cycle des saisons, non pas au cycle sidéral. Le mois de mai grégorien s'étend du 10 quintème au 10 sextème. Il couvre entièrement la période favorable pour -1200, et n'en rate que deux jours en -800. Il est donc bien représentatif de la période saisonnière à laquelle Ulysse a dû effectuer son dernier trajet vers Ithaque.
Dans cet article très éclairant à propos des connaissances des Anciens, l'auteur souffre de ne pouvoir aisément différencier l'année sidérale, assez bien restituée par le calendrier julien, de l'année tropique à laquelle nous sommes habitués avec le calendrier grégorien. C'est dommage. Un auteur indien ou persan aurait probablement moins de difficulté. Il pourrait recourir au calendrier indien ou persan qui représente nativement le cycle des saisons. Il le distinguerait du calendrier julien, bien adapté aux calculs astronomiques et à l'année sidérale. Dans notre culture occidentale, le calendrier milésien peut combler ce manque et mieux représenter les saisons des périodes reculées. Chers auteurs scientifiques, profitez-en !
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